I
Pouvoir être en terrasse
 Notre cul sur une chaise
 Comme l’oiseau dans un arbre
 Nous était naturel
Un droit inaliénable
 Que certains nous enviait
 De pouvoir après le taf
 Ainsi nous prélasser
Fumer une gauloise
 La voir chalouper
 User de notre charme
 C’était la dolce vita hey !
*
On avait ce courage
 De l’ouvrir sans relâche
 Qu’ont certains oiseaux bravaches
 Et fiers de leur plumage
Mais une fois dans l’anonymat
 Des rames de la RATP
 Loin de tout Printemps arabe
 On prenait la place de nos aînés
Et pressé d’être at home
 Pour déposer les armes
 On scrutait le smartphone
 Pour le supplément d’âme
II
Pouvoir être en terrasse
 Notre cul sur une chaise
 Comme l’oiseau dans un arbre
 C’était un privilège
Quelque chose de banal
 A l’échelle d’un pays
 Mais ailleurs, loin de là
 Dans ce monde, que nenni
Pendant qu’on prenait
 Une bière, perruqué
 Les bombes pleuvaient
 La dolce vita hey !
*
Et nous avons été coupés dans notre élan
 Car aujourd’hui tout le monde l’a vu
 Le pays est à feu et à sang
 Et je ne parle pas du virus
Je parle du gouvernement
 Qui détricote dans notre dos
 Les bases d’un vivre ensemble
 Qui ne tient plus qu’en ces mots
« Tenir ensemble », dit cette voix
 Mais à l’écouter on va juste ternir
 Voilà ce qu’on va faire si cette doxa
 Prend le pas sur nos vies
III
Alors voilà ce qu’on va faire
 Si vous le voulez bien of course
 On ne va surtout pas faire
 Ce qu’elle attend de nous
On va laisser glisser
 Sur des plumes de canard
 Cette vile billevesée
 Qui nous veut au plumard
Car il nous faut reconstruire
 Mettre notre énergie ailleurs
 Oui, nous il faut que l’on brille
 Hors de ces haut-parleurs
*
Nous mourrons de ne plus être
 Quelque part en groupes et en grappes
 Sur l’herbe illustre et verte
 Où fleurissaient nos agapes
L’univers nous a divisé
 Le travail nous a divisé
 Et, attendant l’univers
 Nous finissons le travail
Planqués, plans cul, plans culinaires
 Qu’est-ce qui nous fait encore tenir ?
 Mes semblables, mes amis et frères
 N’avez-vous pas d’autres envies ?
IV
Mes amis, mes guerriers
 Où êtes-vous ? Eclatés ?
 Mes guerriers, mes amis
 Où vous êtes, je le suis
Je dirais même plus
 Connaissant vos rouages
 Je vous sais à la rue
 De subir cette doxa
Vous ne pouvez plus continuer
 Comme si de rien n’était
 Car cela a trop duré
 Et le réveil a sonné
*
Voilà pourquoi j’ai peu de proches
 Qui boivent un coup en terrasse
 Cette vie-là, vague bamboche
 Ne leur parle plus je crois
Comment en effet rester assis
 Quand tout croule, prend l’eau
 Que le paquebot d’où l’on pépie
 N’est plus qu’un immense fiasco ?
Et même aller aux concerts
 Se faire une toile, une expo
 Quand politiquement, il est clair
 On nous fait littéralement la peau ?
V
Pouvoir faire cela, c’est fou
 Est donc le cadet de nos soucis
 Ce qui nous manque c’est surtout
 D’avoir perdu notre capacité d’agir
Et les gens sont cassés
 Car les gens sont sécables
 Et vous n’êtes épargnés
 Vous machine, vous grain de sable
Et ce n’est pas dans les parcs à jouets de Paris
 Que va naître le nouvel horizon qu’on désire
 Mais le désire-t-on seulement assez ?
 Ah, c’est toute la doxa vita hey !
*
Je me souviens d’une pub
 Dans un magazine en 96
 Je ne me souviens plus
 Quel opérateur c’était
Je rentrais alors du lycée
 J’avais 16 ans tout au plus
 Et je marchais tête baissée
 Dans ces pages quand l’hallu
Sur celle-ci on y voyait un jeune
 En snowboard qui telle une fusée
 Traversait le ciel, surhomme du fun
 Et le message, je ne l’ai jamais oublié
VI
Il disait : « Ne perdez jamais
 Le contact avec votre tribu »
 Hé bien vingt ans après
 On l’a bien dans le cul
N’est-ce pas ? On a perdu la camaraderie
 Qu’est-ce qu’on fabrique ensemble ?
 Et cette mainmise sur nos vies
 Qu’en faire maintenant ?
Trop de doigts sur les écrans
 Pas assez dans le fondement
 Plus rien ne nous fait tenir
 A part ce qui nous divise
*
Descendre dans la rue
 Entrer dans le rêve
 Décrocher la lune
 Une place au soleil
Les terrasses dégueulent
 De l’humaine comédie
 Dont tu restes sur le seuil
 Par je ne sais quelles gémonies
Qui veut autre chose que ce chant
 Qui pourra lever quelques pouces ?
 Autre chose qui rompe l’isolement
 Qui aujourd’hui nous mine tous ?
(19 07 2021)

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