O Maldoror qui par tes beaux chants d’horreur, forts
 M’évoque le corbeau du Scott Walker stentor
 De son album de mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze
 Tilt, et le fameux Farmer in the city, dingue
 Portail effarant par lequel il nous accueille
 Dans la majesté elle-même effarée, en deuil
 De son organe vocal baroque et trompeur
 Eploré d’être un homme et puissant d’être ailleurs
O Maldoror qui par ton si métamorphique
 Vouloir-vivre et attaquer déchiquète vite
 Tout ce qui se présente à toi quand il en a envie
 Par la férocité de tes incarnations multiples
 Tu me médusais d’incompréhension quand j’étais petit
 Ne serait-ce que dans la manière pour moi inédite
 Dont ton identité de créature littéraire
 Dévorait celle qui t’avait fait naître
Parce qu’il était dit sur la couverture de mon édition
 Que tu étais l’œuvre du Comte de Lautréamont
 Mais lui-même n’était en fait qu’une création
 Un gant, un mystère, un écran, un prête-nom
 Et en réalité derrière tout cela il n’y avait
 Qu’Isidore Ducasse, un inconnu alors âgé
 De vingt-deux ans au moment des faits
 Et qui mourut phtisique deux ans après
*
Et donc moi à vrai dire je ne savais pas trop qui parlait
 J’étais un peu hagard dans le dédale et la sainte trinité
 Que dis-je, sainte, diabolique puisque mise en abime
 Bel et bien orchestrée de ces trois patronymes qui
 Tels des cartes, des masques, des sorcières ou des
 Fées entouraient l’ouvrage comme pour le mystifier
 Rien que cela m’ouvrait la tête alors que dire du reste
 Par ce simple sortilège j’étais déjà dans les fraises
Ah Maldoror, du reste on a pu dire de ton style
 Qu’il était tout sauf orthodoxe, mais impie, Styx
 Tour à tour gothique, absurde et génialement atroce
 Qu’elle était monstrueuse ta prose, tes chants féroces
 Plus noires que ceux de Baudelaire et Lovecraft réunis
 Mais une chose certaine, on ne pouvait y être insensible
 On trouve là une solitude immense qui ne trouve personne
 A sa mesure, une volonté pure qui étend sa toile sans borne
La prodigieuse cinétique de son vers mange Nietzsche, Sade, Kafka, Poe
 Il n’y en a qu’un seul qu’elle ne mange pas c’est Rimbaud, Rimbaud
 Qui connaîtra son acmé poétique et ne deviendra donc voyant, vraiment lui
 Qu’en mille-huit-cent-soixante-et-onze, un an après la mort de ce jeune génie
 Qui le devancera donc en matière de précocité et tournera aussi
 Mais de son vivant le dos à son œuvre, publiant avant de mourir
 Deux fascicules, Poésies I et II, où il se montre tel qu’en lui-même, Isidore
 Dissertant sur la chose, donc à l’extrême opposé des Chants de Maldoror
*
Rimbaud qui restera toujours dans l’inconscient collectif
 Comme le lumineux, le blond, l’atomique épi de maïs
 Et Ducasse le dark, le brun, l’ivraie, l’infréquentable
 Je ne peux pas m’empêcher de les voir comme ça
 Ces deux grandes figures, comme l’avers et le revers
 D’une même médaille et le yin et le yang d’un univers
 Qui aurait eu besoin de ces deux-là, Apollon vs Dionysos
 Mainstream vs underground pour encore dire la même chose
Rimbaud triomphant parce qu’il a plus vécu
 Qu’il est parti à travers champ dans la nature
 Dont il avait d’ailleurs précédemment chanté
 Tous les tons et à laquelle il a fini par donner
 Raison en disparaissant dedans, nous laissant
 En héritage la belle tête blonde de cet enfant
 Alors oui, Isidore, tu seras toujours l’animal
 L’originaire de Montevideo prisant les maths
O et toi Maldoror, je te dois quelque chose que personne
 N’a permis que toi, c’est mon entrée au DUT info-com
 De Paris V quand j’allais vers ma vingtième année
 En effet je revois encore la lueur de folle curiosité
 Qui de derrière ses lunettes jusque-là impassibles
 A alors frappé celui qui m’écoutait sans rien dire
 Quand à la question : « Dernièrement qu’avez-vous lu ? »
 « Les Chants de Maldoror » fut ma réponse et mon salut !
(10 08 2021)

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